C’est peu dire que l’on attendait de pied ferme le premier
album d’Aline. Et passée la demie (pour ne pas dire le quart) déception de ne
pas voir plus d’inédits dans ces douze titres qui composent Regarde Le Ciel, on peut d’ores et déjà
dire, et sans se retenir, que l’on tient ici un album qui fera date dans
l’histoire du rock français. N’en déplaise à quelques grincheux soucieux de
critiquer tout ce qui marche, Aline surprend par l’excellence et s’inscrit dans
l’intemporalité en jouant une pop ligne claire des plus classiques, et surtout indémodable,
issue de l’Angleterre Thatchérienne de The Smiths, The Cure et The Wake. De
plus, en ces temps de normalité, où l’on ne s’étonne plus de voir des groupes
français chanter dans la langue de Morrissey, les membres d’Aline prouvent une
fois de plus, comme avant eux Gamine, les Dogs et Les Freluquets, que la langue
de Souchon ne rime pas qu’avec Je suis bidon mais peut aussi être celle du rock. À l’intemporalité de la musique,
s’ajoute l’universalité des textes de Romain Guerret. Qui n’a jamais voulu
crier haut et fort son bonheur d’être parents (Deux Hirondelles) et son amour aux copains (Les Copains) ? Qui n’a jamais traversé les moments difficiles pleurés
dans Elle m’oubliera et Il faut partir ? Qui n’a jamais été
ce looser magnifique caricaturé dans le funk blanc accrocheur qu’est Je bois et puis je danse ? Aline
fait danser sur des paroles tristes sans s’appuyer sur son sort et parle à tout
le monde. Aline enchaine les titres comme on fait défiler une vie. Ces gens du
sud ont beau avoir dans le cœur le gris qu’ils n’ont pas dehors, ils n’en sont
pas moins une Cure de jouvence pour le rock Français.
INTERVIEW
-Regarde le Ciel vient tout juste de sortir. Comment le groupe Aline se sent-il alors que tout semble s’emballer à votre sujet ?
Ça va, on le prend bien merci ! Même si la promo est un exercice relativement nouveau pour nous et que tout ça fatigue un peu nous sommes très heureux mais aussi très surpris de l’accueil de l'album. Quand on sait d’où l'on vient et ce que l'on a traversé depuis quelques années c'est un peu miraculeux.
-L’Ep Je bois et puis je danse a très bien été accueilli, le titre éponyme a été élu single de l’année par MAGIC, ça vous a soulagé d’un peu de pression quant à la sortie de l’album ?
Oui et non car « Je bois et puis je danse » est un titre pour le moins atypique dans le trackliste de l'album. Un exercice de style, de l'indie pop funkisante jouée par des blancs bec. On s'est demandé si les gens qui aimaient ce titre seraient capables d'apprécier le reste du disque. Après, le succès de ce titre et l'engouement qu'il a provoqué nous a aussi donné espoir.
-Peut-on dire que Regarde Le Ciel est une revanche sur les débuts difficiles connus avec Dondolo et Young Michelin ?
Non ce n'est pas une revanche, plutôt un continuum et une sorte d'aboutissement stylistique. J'ai réussi à attraper ce que je ne faisais qu’effleurer à l'époque de Dondolo. Je cherchais quelque chose sans jamais le trouver, je me perdais bien souvent en chemin. Avec Aline, c'est arrivé comme ça, comme par magie, les choses se sont décoincées. Certainement parce que j'ai, mine de rien, beaucoup travaillé. Les choses n'arrivent jamais toutes seules comme ça. Maintenant si Aline a du succès, tant mieux, je pense que quelque part c'est mérité. « Le succès c'est d'aller d'échecs en échecs sans jamais perdre son enthousiasme » disait Churchill.
-En lisant les premières chroniques et interviews, on avait l’impression que Young Michelin était le projet de Romain et depuis le changement de nom on voit que le groupe est devenu une entité à part entière et non plus le projet autour d’une seule personne. Un groupe un peu smithien dans l’esprit, où Arnaud P. tiendrait le rôle de Johnny Marr et Romain G. celui de Morrissey. Comment cette transgression s’est-elle effectuée ?
En fait c'est moi qui ai créé Aline. C'est à la base un projet solo. Je n'arrive pas vraiment à composer avec d'autres personnes, j'ai du mal à partager le processus de création initiale. Il faut que j'établisse les bases tout seul dans mon coin, dans ma bulle. Après, comme pour Dondolo, j'ai fait appel aux copains pour jouer avec moi, mais dans Aline j'ai décidé, une fois la charte et le cahier des charges établis, de laisser de la place au groupe pour qu'il compose et apporte des idées. Je reste quand même en embuscade au cas où les choses dérapent ou s'éloignent trop de l'idée initiale. Je suis le gardien du temple mais pour l'instant cela se passe bien.
-Est-ce que la règle de départ qui était de ne pas utiliser plus de cinq instruments et faire des prises de voix en une fois est restée en vigueur pendant la composition de l’album ?
Ah oui presque, sauf pour les prises de voix. Je dois avouer que je n'ai pas tout fait en une prise. En plus, il a fallu refaire les voix des morceaux « historiques », alors les dés étaient un peu pipés dès notre entrée en studio. Ce fut le plus difficile d'ailleurs, retrouver l'émotion, l’interprétation, les sentiments qui se dégageaient de ma voix dans mes premières démo.
-Les débuts d’enregistrements avec Andy Chase semblent avoir été chaotiques. Pourquoi ? Vous suiviez sa carrière discographique avant de le rencontrer ?
Non ce ne fut pas du tout Chaotique, au contraire, tout s'est parfaitement déroulé avec Andy Chase à NY. Seulement nous, nous n'étions pas prêts à l'époque, pas assez de titres, pas beaucoup de temps pour travailler en amont, une semaine pour faire 7 titres et les mixer, avec la fatigue et l'étonnement permanent d'être en studio à NY, c'était chaud.
-Jean-Louis Pièrot (ex Valentin) a donc été en quelque sorte l’homme de la providence ? Qu’a t-il apporté à Aline ?
Oui, lui et les gens qui ont monté cette prod, par coup de cœur et passion. Avec Jean-Louis on partage le même amour de la pop anglaise, des arpèges de guitares, de cette fameuse ligne claire, des sons de synthé aériens. Pas besoin de se parler longtemps, nous sommes sur la même longueur d'onde. En plus, c'est quelqu'un de doux et diplomate, il sait faire passer ses idées sans qu'on s'en aperçoive. Sur l'album, il a joué toutes les parties de synthé et amené des idées de structures pour les morceaux un peu bancals. Il a vite compris la couleur, les couleurs qu'on aimait.
-La France a un lourd passé de chanson à textes. N’avez-vous pas peur d’être incompris ou de ne pas être pris au sérieux avec votre musique ?
C'est le risque quand on fait de la pop en France et en français. La France et l’Angleterre sont des pays bien différents. Ici, tout est compliqué quand on fait de la pop, beaucoup de gens passent complètement à côté de ce qui fait l'essence de cette musique. L'apparente naïveté, la légèreté de surface, la simplicité supposée des textes. Ils ne comprennent pas qu’on n’écrit pas de la pop comme on écrit un roman, une nouvelle, ou une chanson à texte. Ce n'est pas du tout le même exercice. C'est beaucoup plus compliqué que ça ne paraît. C'est du boulot d'arriver à sonner simple et direct, de faire entrer les mots dans un format aussi archi balisé. La pop c'est un entre-deux, on navigue toujours entre deux eaux. Les gens de chez Télérama, pour ne citer qu'eux, n'ont par exemple absolument rien compris à ce qu'on faisait. Ils chroniquent et dissèquent l'album en le rangeant dans la catégorie « Chanson française » déjà, à la base, ça veut tout dire...La grille de lecture n'est pas du tout la même, ils ne le savent pas.
-Une vague de groupe français semble percer ces derniers temps (Robi, Pendentif, Granville, Lescop, Cracboom…), comment est-ce que vous vous placez parmi eux ?
Au sud ! Nous partageons tous les mêmes influences mais nous en faisons tous quelque chose de singulier, de différent. Nous sommes plus gris que Pendentifs ou Granville mais moins sombre que Lescop ou Robi. Tout en nuances.
-Avez-vous l’impression d’appartenir à une scène naissante de groupes français décomplexés comme on entend parfois dire ?
Par la force des choses oui, bon après il ne faut pas s’arrêter à ça, on trace notre route sans vraiment s'occuper de ce qui se passe autour de nous même si il y a des gens avec qui on a sympathisé un peu, le jeu des « nouvelles scènes » ça finit mal en général...
-Dans votre musique, on ressent, et ce depuis Young Michelin, une influence venue des groupes anglais comme Orange Juice, Aztec Camera… Comment est venu cet amour pour cette pop dite « ligne claire » ?
On parle de ligne claire à notre sujet, avec raison d'ailleurs, mais nous aimons aussi beaucoup les fuzz et les distos cradingues. J'ai aussi beaucoup écouté, Les Pastels, Jesus & Mary Chain, le Velvet Underground, les Buzzcocks, les Vaselines...Il faut que ça reste sensible et fragile même quand c'est sale. Ce que j'aime avec la « ligne claire » c'est que tu dois jouer tout en tension, comme tu n'as pas un gros son derrière tu es frustré et tu grattes ta guitare comme un damné pour compenser le manque de chevaux dans le moteur. Ça donne quelque chose de très spécial, tout en retenue, en suspension nerveuse. Un de mes guitaristes favoris c'est Robert Smiths (j'aime beaucoup son style néo surf). Surtout au tout début. Le son aigrelet, le chorus pour épaissir et arrondir les angles mais pas trop, c'est hargneux, tout se passe dans l'avant-bras.
-Du coup, en jouant cette pop « classique », vous cherchez un peu à être intemporels avec votre musique ?
Exactement. On ne cherche pas à révolutionner le monde de la musique. Enfin par pour l'instant. On verra après. Pour l'instant on veut écrire de belles pop songs qui font pleurer et danser.
Peut-on dire qu’Aline fait danser avec des paroles tristes ?
C'est le but ultime de n'importe quelle pop songs digne de ce nom je pense. Ça vaut aussi pour les chansons de variété.
-Est-ce que les thèmes universels chantés dans le disque comme la rupture, le looser magnifique, la paternité, sont au départ des choses vécues ? Quel est la part autobiographique dans les paroles d’Aline ?
Tout est vécu, tout est expérimenté, ces chansons ne parlent que de moi, elles parlent donc de tout le monde. J'aimerais qu'elles parlent à tous ceux qui vont bien et qui ont été mal un jour, et à tous ceux qui vont mal et qui espèrent aller mieux un jour.
-Est-ce que la suite discographique d’Aline va arriver très vite ou allez-vous prendre votre temps pour vous consacrer à d’autres projets comme celui d’Alex Rossi ?
Pour l'instant, y'a pas mal de trucs au fond de nos ordinateurs, pas le temps de finaliser pour le moment mais ça viendra. Là je me sens hyper frustré, j'ai comme une grosse envie de composer, quand je vais m'y remettre ça va faire mal !;)
Depuis un an et l'enregistrement de l'album nous avons fait plein de choses annexes à la musique, concerts, boulots à côté, puis la promo mais nous avons eu le temps de composer deux belles chansons pour notre pote Alex Rossi ( 45t qui sort sur Born Bad records début février). Il chante ses textes en italien, c'est très pop, Italo, pop, lumineux et triste, mélodique et nostalgique. C'est très beau. On est aussi sur d'autres projets très intéressants mais je ne peux pas en dire plus car rien n'est fait encore.
-Ecrire pour les autres c’est quelque chose que vous aimeriez faire à l’avenir ?
Oui écrire et composer. Mais le faire à ma sauce.