Dire qu’après l’interlude Filiamotsa Soufflant Rhodes,
Filiamotsa fait un retour « à la normale », serait se tromper. Car
après avoir revisité avec une certaine ingéniosité certains de ses morceaux
accompagnés d’un clavier et d’une section de cuivres, le duo nancéen (violon /
batterie) fait peau neuve pour nous surprendre encore un peu plus. Devenu trio
avec l’arrivée du multi-instrumentiste Philippe (violon, clavier), Filiamotsa part
comme à son habitude vers des horizons inexploités. Gagnant en amplitude et en
richesse dans ses arrangements, les nouvelles compositions de Sentiers des Roches continuent de
creuser le sillon noise-rock psychédélique proche du rock progressif. Sorte de
rencontre improbable entre Arvo Pärt
et King Crimson, Filiamotsa affine un peu plus à chaque fois un son unique.
La grande nouveauté de cette nouvelle mouture est l’arrivée du chant sur trois morceaux, introduisant pour l’occasion le groupe vers des sphères un peu plus « conventionnelles ». Quand il n’est pas en anglais lorsqu’il est confié à G.W Sok de The Ex, les paroles en français utilisent la métaphore pour mieux traiter des sujets délicats. Force est de constater que ce surplus d’inventivité sied plus qu’admirablement au trio nancéen et n’entame en rien à la puissance émotionnelle de leur musique. On se prend même à se demander pourquoi ils ne l’avaient pas fait plus tôt.
Autre moment fort de cet album, c’est la collaboration avec le très poétique Chapelier Fou. Placé judicieusement à la fin de Sentier des Roches comme on met trois petits points à la fin d’une phrase pour annoncer une suite, « La Porte de la Fontaine » prouve que Filiamotsa n’en a pas fini avec sa quête du morceau ultime et que l’avenir du groupe semble être marqué du sceau de la liberté artistique.
Filiamotsa arrive donc une nouvelle fois à se renouveler sans jamais tomber dans la surenchère et nous livre encore une fois un album audacieux et déjà inusable.
© Charline Thiriet
INTERVIEW
Au départ, Filiamotsa est un duo violon/ batterie. Aujourd’hui, il y a eu l’arrivée d’un violoniste/claviériste. C’était un besoin ressenti depuis longtemps ou était-ce une nécessité pour l’évolution du groupe?
Je pense que c'était une nécessité pour faire évoluer notre musique vers un son plus complet, plus large. Le duo, Émilie et moi, est la base énergétique et la ligne directrice. Philippe, le 3ème membre nous offre une ouverture vers énormément de possibilités. Filiamotsa c'est un son serré, magmatique dans lequel émerge des mélodies. C'était trop compliqué pour nous de réaliser notre idée à deux.
Maintenant que vous êtes trois, comment avez-vous fonctionné sur le plan de la composition des nouveaux morceaux de Sentier des Roches ?
Sur Sentier des Roches, 2 titres ont été composés uniquement par Émilie et moi: So noise et La porte de la fontaine. Les 5 premiers titres ont été complètement créés avec Philippe qui a compris tout de suite où nous voulions amener notre musique. Beaucoup de rythmiques proviennent de ses mains, pour ce qui est des mélodies c'est plutôt Émilie qui les écrit. Je me charge de la batterie, du chant et de la production. Ce qui est important c'est que nous fonctionnons dans l'écoute; chaque membre du groupe amène un recul sur le jeu de l'autre.
"Les mots aiguillent la
pensée alors que la musique nourrit l'émotion."
La grande différence entre Sentier des Roches et le reste de votre discographie, c’est l’arrivée du chant sur trois titres (Cerveaux de familles, 4QSO et Chiens Déguisés). Pourquoi l’avoir intégré dans votre musique déjà émotionnellement très riche ?
Le chant est une dynamique supplémentaire... Les mots aiguillent la pensée alors que la musique nourrit l'émotion. Nous ne nous sommes pas dit que nous allions faire un disque avec du chant. Il s'est imposé à la musique. Et bien sûr, chanter libère des émotions parfois cachées.
Les paroles de Cerveaux de Familles et Chiens Déguisés sont assez hermétiques à la compréhension. Pouvez-vous nous en expliquer la teneur ?
Que l'on ne comprenne pas tout de suite la teneur exacte de ces textes est une bonne chose, pour moi la mélodie des mots est aussi importante que le fond, mais je ne sais pas si ce sont des paroles hermétiques. Notre premier concert avec cette nouvelle formule, qu'est le trio, a été joué dans une école à Nancy, devant des classes allant de la primaire à la terminale. A la fin du concert une enfant de 5ème est venue me demander si les paroles de Cerveaux de Familles parlaient bien d'inceste... Je le lui ai répondu: oui! C'est assez drôle le ressenti des enfants... Ils sont sans barrière, ils absorbent. Pour ce qui concerne Chien Déguisés, c'est un texte sur les gens qui amassent les choses de manière boulimique sans ce soucier de rien d'autre que d'eux même... Manger, manger, manger, acheter, acheter, acheter, amasser, amasser, amasser....
A l’écoute de vos derniers morceaux, on a l’impression que vous avez voulu aller vers des ambiances un peu plus atmosphériques, voire fantomatiques si l’on se réfère au titre Zittern. Est-ce qu’une impression ou une évolution désirée ?
Nous avons toujours aimé la musique pour la matière qu'elle peut dégager, pour l'espace qu'elle peut créer et le vide qu'elle peut engendrer. Elle peut nous faire perdre le temps. « Zittern » a été créée pour essayer de donner cette sensation. Nous nous dirigeons de plus en plus vers un son filaire qui peut être tour à tour vide ou surchargé, puissant ou inexistant. L'important est de tenir ses idées sur plusieurs minutes sans jamais qu'elles ne s'effondrent.
Vous donnez aussi l’impression que le groupe est sans cesse à la recherche de la meilleure formule à la fois scénique et discographique. Et que jouer votre musique est toujours un prétexte à aller voir ailleurs et explorer de nouveaux horizons. On en a eu déjà une belle représentation avec Filiamotsa Soufflant Rhodes qui vous a permis de relire vos morceaux en intégrant du rhodes et une section de cuivre.
Est-ce que le projet Filiamotsa Soufflant Rhodes a interagit d’une manière ou d’une autre sur l’écriture de Sentier des Roches?
Filiamotsa Soufflant Rhodes nous a montré que notre vision de la musique à deux était limitée par le technique de gestion des pédales. Ce que je veux dire c'est que le fait de jouer avec d'autres musiciens ouvrent le nombre de timbres, le nombre de changements harmoniques, bref, nourrit la musique. Si nous avions continué uniquement à deux, nous aurions tourné en rond. Donc oui, FMSR a été une ouverture d'esprit pour nous. Il y a même un thème que Youssef, le tromboniste de FMSR, a écrit qui a été repris pour l'album de Filiamotsa. Les deux projets se nourrissent.
Sentier des Roches fait l’objet de deux belles collaborations. Comment en êtes-vous venus à collaborer avec G.W Sok de The EX et Chapelier Fou ?
Lors du premier concert de FMSR au festival Musique Action, G.W. Sok été présent. Il nous a donné un recueil contenant ses paroles de chanson traduites en Français pour nous remercier de notre concert. Nous avons donc décidé de lui proposer de faire un essai sur un titre... Il a accepté et « 4QSO » est né! Louis, Chapelier Fou, est un ami depuis longtemps. C'est tout naturellement que nous nous sommes rapprochés de lui pour fixer quelque chose ensemble sur un disque!
Votre musique a un style vraiment singulier, que l’on reconnaît tout de suite. Vous avez conscience d’avoir trouvé votre propre style et d’être unique dans votre genre ?
Euh.. non, pas vraiment notre recherche va être encore très très longue avant de trouver quelques chose d'aussi singulier et de tranché que des groupes comme les Liars, Swans, Can. Pour nous ce sont des exemples de groupes singuliers qui savent ou ils vont quand ils font quelque chose.
J’ai déjà posé cette question au groupe La Terre Tremble !!!, mais j’aimerais avoir votre avis sur le fait que, parfois, on hésite à vous cataloguer comme groupe indie/noise que Yann Debailleux décrit dans son documentaire Etat Des Lieux. Comment vous situez-vous par rapport à tous ces groupes ?
Nous ne nous situons pas vraiment et je ne sais pas trop si c'est très bon pour la durée d'un groupe de se situer quelque part. Ça laisse le champ libre! Laissons les gens écouter et situer les groupes par eux-mêmes.
Comment vous êtes-vous retrouvés à sortir un Split EP avec le groupe Rennais Trunks ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?
Oui! C'est vraiment une surprise. Lorsque Les Disques de Plomb se sont positionnés pour défendre notre disque, ils avaient un projet de split, le troisième de leur série des Rosemary K's Diaries, avec Trunks et un autre groupe qui n'a pu finalement livrer les titres prévus. Nous avons donc hérité de cette opportunité! Nous n'avions jamais rencontré l'équipe de Trunks, mais ce split nous a permis d'envisager une tournée commune, qui s'est transformée en une bonne dizaine de dates entre est et ouest de la France, du 20 février au 2 mars. Nous avons hâte de les rencontrer enfin après de nombreux coups de fil et emails !
Vous avez tourné avec quelques figures du rock comme Steve Shelley, Kim Gordon et son projet Body/Head, Giant Sand, The Ex. Quel regard ont-ils porté sur votre musique ?
On ne sait jamais vraiment ce qu'ils pensent puisqu'ils restent souvent dans leurs loges pour se concentrer ou autre... A part Steve Shelley qui est resté dans le bar, le Rigoletto à Paris, pendant que nous jouions et qui nous a dit avoir passé un agréable moment, nous n'avons pas vraiment eu de retour de ces personnes.