« Tout le monde
vit dans son propre monde » a dit un jour Ian Curtis. Tout comme Joy
Division avec Manchester, Grand Blanc
est profondément marqué par la
Lorraine qui l’a vu naître. Même si aujourd’hui la majeure
partie des membres du groupe vit à Paris, Grand Blanc avec son premier EP Devant
De Nous, respire « cette beauté désespérée » d’une région qui
n’a presque rien pour elle.
C’est souvent dans les lieux rythmés par l’ennui que naissent les projets les plus sincères. Et Grand Blanc est de ceux-là. Leur musique influencée par la scène française des années 80 a quelque chose des Paradis Perdus de Christophe ou d’une Play Blessures qui ne s’est jamais refermée. Pour paraphraser celui qui vient de (tré)Passer le Rio Grande, chez Grand Blanc les « gens viennent pour la musique et restent pour les textes ». Les paroles, pour ne pas oser dire la poésie, sont chez Grand Blanc un élément fondamental. Souvent, les mots (bleus ?) sont souvent vus « sous un jour nouveau ».
Avant leur passage au Festival Zikametz et une sortie physique prévue pour le début de l’année 2014, on a voulu en savoir un peu plus sur ce groupe qui attire déjà tous les regards et les oreilles avides de Beau Bizarre.
Auparavant, vous vous appeliez Bonaparte, quelles ont été les raisons de votre changement de nom ? Et quelles étaient vos ambitions à cet instant ?
On a eu un problème de référencement. Il y a un groupe de punk électro ( ?) qui s’appelle Bonaparte. Ils faisaient pas mal de bruit à ce moment-là, du coup un de nos concerts aux Trinitaires a été confondu par Digitick avec un concert de nos homonymes. A cette époque on démarrait ça aurait été assez bête d’avoir des problèmes judiciaires avant même de faire de la musique un peu sérieusement… normalement c’est la rançon de la gloire ces trucs là – regarde Florent Pagny haha.
Pour les ambitions on ne sait pas trop. Quand on a commencé on était vraiment novices. On ne rodait pas les bars à concert depuis nos 14 ans (sauf Luc), du coup on faisait de la musique jusqu’à ce que ça nous plaise et on se rendait compte que ça plaisait aussi aux gens. Mais on ne savait jamais trop ce qu’on faisait sur une scène. Notre première vraie date, au Zikametz, on n’avait pas envoyé de bio parce qu’on était trop gênés de se définir, du coup on nous a décrit comme « des autistes reclus ». On n’avait pas d’ambition du tout, on jouait juste de la musique le plus possible pour se rassurer et se dire que ça au moins on pouvait y prétendre.
Ces ambitions ont-elles changé depuis ?
Le changement de nom est intervenu au moment propice, on commençait à se décoincer, à prendre un peu de bouteille. On a changé de son et les gens nous ont suivi. Ça a été très important pour nous. Et on a fini par se dire que l'on était un groupe, qu’on faisait des concerts et qu’il n’y avait pas de honte à « jouer », à « avoir un jeu de scène », à ne pas être juste premier degré.
On se sent un peu plus à alaise avec tout ça. La formation a bien évolué. On a sorti « Devant De Nous », notre premier EP. Ca a marché comme on l’espérait. Une sortie physique commence à se préciser pour février. Et puis il y a Korben, notre bassiste qui nous a rejoint ça donne vraiment de l’ampleur à notre musique. Depuis plus d’un an maintenant Nathan, un jeune, beau et talentueux ingénieur du son, nous suit. Il donne une cohérence au son et surtout il nous engueule quand nos vieux penchants d’autistes refont surface. Yannick de YUPPY s’occupe de nous depuis quelques mois, et on travaille à rendre le projet plus sérieux.
Bref, on commence à être une bonne équipe et on va de l’avant. On n’a pas vraiment d’ambitions, on est juste devenu un vrai groupe, du coup on espère que ça va marcher au mieux et on va faire ce qu’il faut pour.
Vous êtes un groupe basé à Metz et pourtant, Benoît étudie à Paris et Camille joue avec Marie Madeleine. Ce n’est pas une situation compliquée pour Grand Blanc ?
En fait on est presque tous originaires de Metz (Luc, Camille, Benoît et les deux shadow men du groupe : Yannick et Nathan), Korben et de Mantes-la-joly, mais il est tellement cerné par les lorrains qu’il le devient peu à peu. On joue beaucoup à Metz et dans les environs parce qu’il y a des gens qui nous filent des coups de pouces précieux et qui semblent apprécier notre musique par là-bas. Mais en fait on habite tous à Paris. Donc la situation n’est pas plus compliquée que ça. Les studios de répétitions sont chers, on se gueule dessus parce qu’on est encore en « mode métro » quand on compose ou qu’on répète…mais à part ça c’est cool. On bosse les mixs et les compos chez Luc qui a pas mal de matos. On travaille ensemble, on glande quand on peut, on fait la fête.
Comment se passe l’écriture d’un morceau chez Grand Blanc ?
Pas de méthode type. Souvent ça prend pas mal de temps. Benoît arrive avec deux phrases incompréhensible, des morceaux qu’il écoute tout le temps en ce moment et des élans de motive du genre « putain la prochaine de Grand Blanc va être trop cool »… Après on laisse venir, souvent il ne se passe rien et puis des fois on s’y met et ça marche effectivement. Après ça vient aussi souvent de petits gimmiks de synthé, de lignes de basse, des bribes qu’on joue comme ça quand on répète en studio. Il y en a un qui flaire le truc et qui saoule tout le monde avec son riff et puis on finit par l’avoir tous dans la tête. Dans ce cas la meilleure manière de s’en débarrasser c’est de l’exorciser dans une composition.
Parlons musique. Le changement de nom a été aussi l’occasion d’évoluer vers un autre style de musique ?
Effectivement le changement de communication a aussi été un changement de cap, à l’époque de Bonaparte on faisait une musique beaucoup plus folk, et Benoît écrivait des paroles beaucoup plus « classiques ». Pour deux d’entre nous, Camille et Ben, c’était le premier groupe de musique, on était encore super concentrés sur nos instruments acoustiques, sur une musique dépouillée. Mais assez vite on a commencé à bidouiller des synthés, des ordis, des amplis… et ça nous a plu. On a dérivé vers une musique plus électrique. Nos influences ont changé, on s’est mis à écouter les trucs qu’on avait envie de faire.
On joue quelque chose de plus moderne, de plus agressif aussi. On ne sait toujours pas très bien ce que c’est. On est assez influencé par la scène française des années 80, par les premiers Bashung, les premiers Christophe, par Taxi Girl, Gazoline, et puis par la musique des années quatre-vingt en général.
C’est pas seulement à cause du revival de ces derniers temps. Un peu bien sûr, on est tous des consommateurs de base. Mais on se reconnait bien dans l’esprit post-moderne de ces groupes. On se reconnait dans le soucis que ces gens ont pu avoir de faire de la musique et de la chanson avec des bruits de machine, avec leur existence la plus merdique. La musique trop éloignée du réel ça nous parle pas vraiment, pour nous une bonne chanson ce n’est pas fait pour vendre du rêve ou du beau, c’est plutôt fait pour encaisser.
La musique de Grand Blanc est assez singulière. Comment la décrieriez-vous en évitant de parler de « Sub Bashung Core » comme Noise Mag vous a qualifiés ?
Notre bureau d’étude planche sur un concept… non. On ne sait pas vraiment quoi répondre. Quand ça nous saoule d’essayer de préciser on dit new-wave en français, mais ça n’en est pas ça. Benoît propose variété alternative… mais personne n’est convaincu. Ce qui est sûr c’est qu’on ne s’identifie pas à un style en particulier et qu’à chaque fois qu’on en parle on mentionne le fait que c’est en français. Après c’est aux gens de voir. Ca dépend aussi de qui demande.
Le chant (surtout sur Samedi la Nuit) rappelle Bashung ? Il fait partie de vos influences ?
Oui, mais récentes. On l’a découvert assez tard et ça nous a beaucoup plu. En fait plus que sa manière de chanter c’est toute son œuvre. Déjà c’est un homme qui a su s’entourer, trouver des paroliers et des collaborateurs qui lui ont été fidèles. Ça se ressent dans les albums, ça croise des styles très différents mais ça reste cohérent, c’est pas le genre d’artiste centré sur lui-même, ses périodes. Peut-être qu’on se reconnaît un peu là-dedans, on est un groupe assez composite dans les profils et les inspirations du coup nos morceaux ce sont toujours des lignes médianes.
La poésie de ses paroles est proche de celle qu’écrit Benoît. Votre écriture repose de temps en temps sur la métaphore. C’est un procédé qui vous permet plus de liberté ?
Il ne faut surtout pas lancer Benoît sur les questions de métaphore, on le regrette toujours amèrement… Donc on va essayer de faire simple. Ce qui fait la ressemblance avec Bashung (hormis le début de samedi la nuit avec les fins de phrases de cruiner dans un gros delay) c’est que les textes sont de moins en moins construits syntaxiquement. A proprement parler ce ne sont pas des métaphores, c’est juste une manière de se concentrer sur les termes, en faisant peu de phrases construites. Et puis il y a aussi le lexique, on exporte beaucoup des termes urbains ou contemporains qui clochent un peu dans des textes un peu littéraires. Effectivement Bashung fait ça. Mais Char le faisait avant lui, les surréalistes (ça dépend lesquels d’ailleurs). En tout cas ce qu’on recherche c’est que les textes provoquent un peu de la fascination qu’on ressent quand on les écrit. Voir un mot sous un jour nouveau c’est assez puissant, ce n’est pas seulement le mot, c’est tout ce que ça désigne qui vient avec. Ca va faire littéraire mais bon tant pis, puisqu’on parlait de Char, il a eu un mot très fort, il a écrit (pas certain de la citation exacte) : « ces mots qui vont venir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux »… c’est à peu près ce qu’on recherche à savoir ce qu’il y a en dessous, après. Et il n’y a pas besoin de faire de la poésie lyrique pour ça, ça peut advenir dans une chanson.
Et on n’est pas tout seuls à faire ça dans notre génération, récemment on a découvert Blind Digital Citizen, un ovni musical en français, ils ont à peu près notre âge et ils sont incroyables. Le chanteur est plus dans la scantion, il sort des phrases complètement cryptiques avec un tel rythme que tu as l’impression de comprendre d’instinct ce qu’il veut dire mais à lire le truc hors du morceau ça serait difficile d’interpréter quoi que ce soit.
Lorsque vous écrivez les paroles d’une chanson, y a-t-il des thèmes que vous préfèrez à d’autres ? Des écrivains ? Des poètes ?
En fait à cause du côté déconstruit des textes, on a pas vraiment de thème. On a une trame et un lexique. Dans Samedi La Nuit il y a la trame de la virée nocturne, quand on dit « tu rêvais la horde fiévreuse des maladies vénérées » la trame c’est que quelqu’un va découcher et risquer la MST parce qu’il a trop bu, mais après il y a le lexique qui joue, vénérées ça remplace vénérienne et c’est pas juste un effet de style, en prenant un mot homophone tu te rends compte que quand tu sors te saouler tu ne vis pas la coucherie comme une menace, en bon enfant de la génération post-sida, tu te rends compte que te saouler jusque tard, essayer de choper c’est chercher de la violence gratuite. Tu le sais toujours, et surtout le lendemain de ta soirée « n’importe quoi », mais tu le dis jamais, et quand tu l’écris (enfin nous on le vit comme ça) ça t’apparaît très nettement.
Du coup on essaye d’avoir des thèmes assez quotidiens, pour que ce côté révélation dans le texte nous touche plus. Si racontait une histoire d’amour sur la riviera, un beau hasard d’écriture ne nous parlerait pas. Il faut qu’on ai l’impression que ça vienne d’en dessous.
Pour les paroles de Grand Blanc, y a-t-il un courant littéraire auquel vous pourriez vous identifier ?
Certainement le post-modernisme, même si c’est plus un courant philosophique. Une certaine science-fiction peut-être. Un bon exemple d’influence indirecte, qui ne soit pas de la musique ou de la chanson c’est le cinéma d’Andrei Tarkovsky. Regarde Stalker…la claque !, dans ce film tu ne peux pas te décider entre la fresque mystique et la fiction post-industrielle… en fait il n’y a pas à se décider… ça nous fait un peu le même effet quand on va acheter des clopes au Luxembourg et qu’on passe devant Cattnom , ou qu’on passe devant des friches industrielles, c’est en même temps des bouts de féraille et des témoins de l’activité économique la moins poétique possible, c’est juste la lorraine, et en même temps c’est une énorme source de fantasmes.
De manière général tous ces courants modernes « soupçonneux » qui grattent en dessous, profond.
À l’instar de Joy Division avec Manchester, Grand Blanc possède une certaine mélancolie et une noirceur que l’on pourrait rencontrer de ce coté-ci de la Lorraine. L’environnement et ce qui vous entoure jouent quels rôles sur votre musique ?
Voilà ! on en parlait ! (ces questions sont vraiment formidables !). Oui, on cultive pas mal ce côté-là, surtout depuis qu’on est arrivés à Paris. On était tous très contents de se tirer de cette région paumée et ennuyeuse et plus on passe de temps à Paris plus on se rend compte qu’on a quelque chose que les gens hors de Lorraine n’ont pas. Les parisiens nous parlent de Disney Land, leurs parcs d’attractions sont amusants et high-techs… nous on a les Schtroumpf, Niglo Land et Fraispertuis City … Ca craint mais c’est chez nous, et ça nous manque souvent, justement parce que ça craint.
Camille anime une émission de radio, Ether et Crac, sur Radio Campus, et elle a interviewé Plastobéton, un groupe aussi inclassable que génial et qui vient de Metz aussi. C’était hyper émouvant pour nous d’entendre leur réponse. Ils parlaient de l’ennui de la jeunesse à Metz, des concerts de punk sous le pont de l’A-31, de leurs concerts sauvages dans des Lavomatic parce qu’ils n’avaient pas de lieu où jouer… Bien sûr on est un peu plus des boy-scouts que ces gars-là mais ça nous parle, on comprend, on l’a aussi vécu.
En fait dans les coins un peu déshérités il y a souvent plus de beautéque dans les lieux où tout va trop bien, une beauté un peu désespérée, un peu au second degré, mais quand même.
Samedi La Nuit est un peu inspirée de nos soirées messines aussi. Peut-être que si on avait vécu ailleurs, dans une ville avec plus de bars, de clubs, de lieux fréquentables quoi, on n’aurait pas passé autant de temps à zoner devant le Flamenco ou je ne sais quoi. Mais en fait le côté trompe l’ennui, errance nocturne c’est touchant. C’est un peu cynique parce qu’on ne peut pas trop se faire croire que ça a le moindre sens de rester éveiller tard deux jours par semaine pour on ne sait pas trop quoi, mais partager cette lucidité nocturne avec des amis c’est très intime.
C’est un peu la même chose pour toute cette région, elle a ramassé, les guerres, les crises (a Metz ça va, mais autour c’est encore flagrant) et pourtant elle tourne encore assez rond. C’est ça qu’on aime ici.
Pouvez-vous nous parler des habillages sonores pour la marque BHWG ?
Projet en cours. C’est la première fois qu’on travaille sur commande en fait. On a du travailler différemment, être plus sérieux, plus carrés que d’habitude et puis surtout réfléchir à comment ce qu’on faisait allait être reçu. C’est un truc auquel on pense assez peu d’habitude. C’est une expérience très enrichissante, ça apprend la minutie. En plus le clip est superbe, Julien Soulier et Adrien Landre, les deux réalisateurs sont allés chercher des images incroyables en Ecosse. On a hâte que ça sorte, hâte de voir le truc prendre vie entre l’image et la musique.
Qui a t–il Devant De Grand Blanc pour la rentrée ?
Devant de nous ? Il y a pas mal de choses. Il y a une sortie physique qui commence à se profiler pour février sur une structure messine et avec YUPPY qui nous suit. On est un peu superstitieux alors on reste allusifs. Il y a les dates au Zikametz pour l’ouverture du festival, à la MJC du Verdunois le 28 septembre (on est super contents de jouer à Verdun), il y a la Nuit Blanche le 5 octobre, on tourne un « Scènes de Bain » à ce moment-là aussi.
Après on a des dates qui arrivent à Lyon et Paris, à suivre. On va se remettre à la compo, parce que ça nous manque.
Et on aimerait bien faire notre première tournée au printemps prochain, un truc à notre taille. Du coup on planche là-dessus dès maintenant.
Bref, devant de nous ça va, on a hâte que ça arrive.
En concert aux Trinitaires pour le Festival Zikametz