Ca fait des mois que je crie haut et fort à qui veut m'écouter que, selon moi, d'ici quelques années la musique sera complètement gratuite. C'est déjà le cas pour les pirates numérique sans remords, mais ce sera légal d'ici peu. Il ne peut en être autrement. L'économie va se repenser par elle-même. Amen. Je ne vais pas vous ré écrire l'histoire, mais ce qu'ont apporté les internets, c'est la possibilité pour chacun de faire écouter sa musique au monde entier. Du coup, ça suscite des vocations. Trop, certainement. Les jeunes ne rêvent plus d'être pompiers ou astronautes, ils rêvent d'être célèbres. Musique, cinéma, cuisine, stand-up, tout est bon, tout est prétexte à transformer son quart d'heure de célébrité promis par Warhol en 24h, en 35h, en mois. Plus besoin de talent, plus besoin d'avoir quelque chose à dire, l'important étant de le dire et de le faire savoir.
Des groupes, des artistes, il en sort des milliers par jour, des dizaines de milliers. Dans ce maelström, aujourd'hui j'ai croisé la route de Who are you Lutra Lutra ? Je ne sais rien d'eux, ou de lui si c'est un gars tout seul derrière sa connexion internet. J’ai vaguement cherché sur google, mais tout ce que ça m'a sorti c'est un lien vers Kazimir Malevitch, l'un des premiers peintres abstraits du XX°, celui qui a peint un carré blanc sur fond blanc, White On White (le nom du EP). Et je trouve que l'analogie ici est parfaite, un groupe, au milieu d'un groupe, au milieu du net, perdu derrière un nom bizarre. Tout se perd tout se mélange, tout est invisible au plus grand nombre si on ne prend pas la peine de chercher, de s'arrêter, d'écouter. Alors je me suis arrêté sur Who are you Lutra Lutra ??
Ce disque, c'est d'abord une voix, un timbre susurrant, un souffle glacé qui vous réchauffe. L'instrumentation est minimale, le tempo aussi et l'album à la grandeur d'être court : 27 min de musique de chambre 2.0, bricolée avec des toys instruments qui ronronnent tristement un spleen que seul l'adolescence charrie. On marche dans l'intime jusqu'aux genoux, comme une balade en raquettes dans 50 cm de poudreuse sous un ciel bleu d'hiver. On se surprend à penser que c'est beau, qu'on est tout petit au milieu du grand rien. C'est beau et on ne sait pas pourquoi, on aime mais on ne sait pas pourquoi, c'est inutile, mais on y revient. White On White c'est un peu comme faire l'amour avec un(e) inconnu(e) dans un bar, c'est bon, c'est fugace et on voudrait que ça recommence.
Jean Elliot Senior